RDC – Taux d’intérêt bancaire : une vraie filouterie à ciel ouvert sous le regard complice des autorités monétaires !
On se croirait dans une république bananière, où n’est banni que le sens du devoir et de l’intérêt général. Quasi-inexistantes après l’instauration du multipartisme par Mobutu, les banques ont réapparu en RD-Congo, en la faveur de l’ouverture du pays aux institutions financières internationales subséquente au libéralisme économique. Finca, Bank of Africa, Rawbank, Afriland First Bank, Equity Bank… Elles sont donc nombreuses à offrir leurs services aux Rd-congolais, dont l’écrasante majorité vient à peine de découvrir la banque et ses différentes opérations.
En effet, sous l’indifférence quasi-complice du ministère des Finances ainsi que de la banque centrale, des débiteurs Rd-congolais sont livrés à la voracité des créanciers privés. Ces banques commerciales imposent des taux d’intérêt avoisinant les 100% et cela, n’émeut personne.
Durant trois mois, la rédaction de cfinances.info a accompagné 10 débiteurs dans trois différentes banques commerciales de Kinshasa pour contracter des prêts, interroger 54 personnes qui ont des prêts dans ces banques, interroger les agents et cadres de la Banque centrale de la RD-Congo ainsi que ceux du ministère des Finances. Le constat est déplorable : les consommateurs sont livrés à leur propre sort avec la complicité passive et active des autorités de tutelle.
Les raisons de demandes des prêts et leurs différentes valeurs
Plusieurs raisons sont à la base des demandes des prêts. Notre échantillon révèle trois principales raisons, à savoir : des prêts pour les obsèques des proches parents, des prêts pour achat immobilier et, enfin, des prêts pour un investissement dans le domaine de l’agriculture, du transport (taxi et mototaxi), ou encore pour lancer ou grandir une petite entreprise, magasin de vente en détails etc. Ces raisons, en principe, devraient aussi déterminer le type de crédit bancaire à contracter. Mais dans les différents contrats que fournissent ces banques ayant fait l’objet de notre enquête, rien n’indique le vrai type ou la vraie catégorie du crédit bancaire accordé au débiteur.
Les crédits-baux, par exemple, sont confondus avec les crédits à la consommation ou avec des crédits immobiliers. Tout, en tout cas, semble être intentionnellement fait pour que les avantages inhérents à tel ou tel autre type de crédit ne soit pas porté à l’attention du débiteur.
Pire, certaines banques regroupent tous les crédits sous la rubrique de consommation, sans distinguer le la catégorie de ce crédit de consommation. Le cas le plus patent est celui de la Rawbank qui impressionne par son génie consistant à mêler les pinceaux au grand malheur de sa clientèle.
Avec des appellations particulières, cette banque donne l’impression sur papier que le débiteur a le libre choix sur le type de crédits à contracter. Dans son prospectus, en effet, elle offre deux catégories de crédits : crédit à la consommation et crédit non affecté. Ce qui, à première vue, parait normal. Pourtant, il suffit d’un bon regard du côté du pourcentage aux termes du contrat de prêts pour bien comprendre la triste réalité.
Les crédits en les livres des prêteurs
Un des documents que signent les débiteurs a pour objet : votre crédit en nos livres. C’est ici que les banques prêteuses exposent le type de crédit, le montant accordé, le taux d’intérêt mensuel, le montant à payer mensuellement, le frais de dossier ainsi que les différentes conditions.
Revenons à notre cas avec la Rawbank. Cinq de nos proxys sont allés contracter des prêts pour des raisons toutes différentes. Pour un crédit de 12.726.000 francs congolais, soit environ 6.300 USD, assortis d’une durée de remboursement de vingt-quatre mois, soit deux ans, une de nos personnes suivies, qui a le taux d’intérêt le plus bas, devra payer 862.891 Francs Congolais par mois, environ 420 USD.
Au point un (1) de ce fameux document, le taux d’intérêt est fixé à 4%. Mais lorsqu’on fait un calcul rapide, il s’en dégage que notre contact paiera à terme 20.709.384 franc congolais, environ 10.361 USD, donc l’intérêt que la banque fait sur le principal s’élève à 7.988.384 francs congolais, soit 4.000 USD. Ce qui représente environ 40% d’intérêt.
Notons qu’ici notre contact a contracté le type de crédit dit « Crédit Sénior », comme on peut lire au premier point du contrat. Quand on pose la question à l’agent de crédit de la Rawbank ce que ce type de crédit signifie, même l’agent n’y comprend rien. Il nous avoue qu’il ne fait que remplir un « template », un modèle que son employeur a mis à sa disposition. Vérification faite sur le site internet de la Rawbank, amer est le constat : ce type de crédit n’existe pas (sic!).
Sans trop comprendre, au point deux (2) de ce même contrat, on note quand même que la Rawbank a crédité à notre fameux proxy un montant de 1.199.570 francs congolais à titre de Crédit Confort qu’il doit utiliser sous forme de découvert sur son compte. En d’autres mots, au lieu d’accorder au client une protection de découvert, qui est un produit financier approprié, la Rawbank lui met de l’argent qu’il n’utilisera pas dans son compte pour qu’elle se paie elle-même au cas où le client n’arriverait pas à couvrir le montant d’une transaction. Sur ce montant, un taux d’intérêt de 5,99% est prélevé mensuellement, qu’il soit utilisé ou pas. Par ailleurs, lorsqu’il utilise ce crédit Confort, 1% est ajouté sur le montant utilisé, mis à part le 5,99% obligatoire. Alors que la protection de découvert ne s’applique que lorsque le compte est mis à découvert, c’est-à-dire, ne contient pas assez d’argent pour couvrir un paiement ou un retrait.
Là n’est pas tout. Car à chaque paiement, que cela soit du Crédit Sénior ou du Crédit Confort, notre contact doit aussi payer la TVA dont le taux n’est pas fixe et varie au gré de l’humeur de la Rawbank. Ainsi, il a été difficile à la rédaction de cfinances.info d’établir la moyenne du montant prélevé.
Qui pis est, alors que le compte a été crédité en francs congolais, le prélèvement, lui, se fait curieusement en dollars américains.
Par ailleurs, dans le même contrat au point trois (3), on a constaté que notre contact s’est engagé, avant même de voir son compte crédité, de verser la somme de 284.820 francs congolais, soit 143 USD comme frais de dossier, un montant automatiquement débité de son compte.
De l’esclavage moderne au grand-dam de la loi
C’est en lisant les conditions ainsi que l’acte de cession de rémunération que l’on comprend pourquoi ces banques travaillent au mépris des droits des consommateurs et même des lois du pays.
Parmi les conditions, il y a notamment celle qui enjoint au débiteur d’avoir, avant tout, un emploi dont la rémunération passe par la banque concernée. Et Chez Rawbank, pour continuer avec le cas choisi, le souscripteur, ici notre contact, devait avant tout signer, au profit de la banque, un billet à l’ordre du montant emprunté. Et, pour garantir le remboursement, il cède au profit de la banque toutes les sommes qui lui sont ou seront dues à titre de rémunération (notamment Salaire et Prime), y compris le décompte final, par l’employeur actuel et/ou futur. Cela, conformément à cette clause qui oblige le souscripteur à donner un mandat irrévocable à son employeur, actuel et/ou futur, de virer tout paiement dû au souscripteur dans le compte qui a été crédité afin que la banque se paie à la source.
Il sied de noter que la quasi-totalité de ces débiteurs ont parfois une connaissance limitée des systèmes bancaires ou n’ont carrément pas beaucoup de choix. Ce qui fait d’eux des proies à la prédation des banques commerciales. Bien que ces dernières tiennent compte des divers facteurs dans la variation des taux d’intérêt – tels que le taux d’inflation, les forces du marché, la politique monétaire, l’offre et demande de monnaie dans l’économie en général – , la Banque Centrale et le ministère des finances, en vertu de la loi ont le devoir de contrôler ces institutions dites d’intermédiaires financiers.
Au ministère des finances, comme d’habitude, personne ne veut répondre… D’ailleurs dans les couloirs, on murmure que le patron lui-même serait impliqué dans les deals obscures avec certaines banques privées. Il serait même cité dans l’affaire Afriland First Bank où il a des entrées au niveau des dirigeants et aurait joué un rôle dans une affaire qui impliquerait des conseillers de la présidence.
A la Banque Centrale, même constat. Et pourtant, en vertu de la loi, elle a l’obligation de prendre des décisions en matière d’agrément des établissements de crédit et autres établissements financiers assujettis à son contrôle. Elle a, en outre, le pouvoir de prendre toute mesure, sanction, ordre ou décision et cela, en vertu des législations. L’absence de prise de position de la banque centrale donnerait aux hommes forts du pouvoir actuel la possibilité d’avoir sous contrôle « leurs » banques privées.
Un autre constat : à la Banque Centrale les membres de la direction de la surveillance des intermédiaires financiers – DSIF – seraient pris en charge par ces banques qu’ils sont sensés surveiller.
Ce qui choque, en janvier 2022 la Banque Centrale avait baissé son taux directeur de 8 à 7,5% prétextant que l’économie RD-Congolaise se porterait bien. Ce qui, selon les spécialistes de la Banque centrale qui ont requis l’anonymat, a eu de l’impact positif sur les taux d’intérêt sur le marché interbancaire. Ces taux d’intérêts relativement favorables devaient normalement servir de référence aux banques commerciales lors de l’octroi de crédit à leurs clients, malheureusement en RD-Congo, tout demeure cosmétique. Des performances sur papier pour une consommation extérieure ?