RDC : administration publique, « passez par l’autre chemin pour être mécanisé » !
L’expression n’est pas de Cfinances.info, mais du cru même de l’administration publique de la République Démocratique du Congo. Elle est utilisée à chaque fois qu’un fonctionnaire, régulièrement recensé mais toujours non – payés, cherche, auprès des services compétents, à avoir des précisions sur l’évolution du processus de mécanisation. ‘‘L’autre chemin’’ ou ‘‘ligne courbe’’ ou encore ‘‘raccourci’’ et ‘‘chemin dérobé’’ fait directement référence aux réseaux maffieux au sein l’administration publique ou, plus exactement, à ces fonctionnaires au sein du ministère de la fonction publique et du budget qui proposent aux fonctionnaires non -payés leur parrainage afin qu’ils soient mécanisés, en contrepartie bien sûr des espèces sonnantes et trébuchantes. Elle renvoie aussi à cette autre possibilité consistant à passer par l’influence d’une personnalité politique de haut – rang, qu’elle soit du parti présidentiel ou d’un des partis – phare de la coalition au pouvoir, et l’affaire… est réglée !
La maitrise des effectifs, un défi que se propose de relever JP Lihau, mais…
Pour saisir ce qu’il en est, il convient de rappeler cette exigence toujours renouvelée du gouvernement qu’est la maitrise des effectifs au sein de l’administration publique de la République Démocratique du Congo. Depuis le début de cette troisième république, cette question a toujours été un véritable défi, pour les différents gouvernements qui se sont succédés. Après la rupture de la coalition gouvernementale qui réunissait la famille politique de l’ancien président Joseph Kabila et celle de son successeur, le gouvernement dirigé cette fois – ci par Sama Lukonde avait pris sur lui d’en finir une bonne fois pour toute avec cette situation, qui n’honore pas le pays de Lumumba.
La première opération lancée par Jean – Pierre Lihau, ministre de la fonction publique, a porté sur l’identification des agents de carrière de l’administration publique sur toute l’étendue du territoire national. L’opération consistait essentiellement à la présentation, auprès de services généraux de différents ministères et institutions publiques, des pièces justifiant le statut de fonctionnaire de l’état. De ces pièces, il y avait notamment l’arrêté ministériel, la commission d’affectation et la lettre de notification. Des documents par la suite transmis auprès des services généraux du ministère de la fonction publique. Puis, intervint la deuxième opération qu’a été le recensement biométrique. Après celle qui s’est déroulée à Kinshasa de mai à juillet 2022, opération qui continue à l’intérieur du pays, les fonctionnaires (payés, non – payés et des nouvelles unités) se sont en effet vus remettre une carte biométrique attestant leur statut d’agents de carrière des services publics de l’état RD – Congolais.
A l’époque, l’obtention de cette carte donnait automatiquement droit à la paie…
Selon les témoignages des anciens fonctionnaires, l’obtention d’une telle carte était à l’époque synonyme de la mécanisation. «Jusqu’à une époque récente, cette carte valait directement inscription du récipiendaire dans la liste de paie et cela, à partir du même mois », se rappelle Prince, non autrement identifié, fonctionnaire au secrétariat général du ministère des Petites et moyennes et entreprises (PME), en référence sûrement à la vague de mécanisation de 2013. Idem en 2020, lors du tandem gouvernemental FCC – Cach (Front commun pour le Congo de l’ancien président Joseph Kabila – Cap pour le changement du successeur de ce dernier), lorsqu’il fallait rapidement résoudre le problème de la paie de certains agents du secteur de l’enseignement primaire et secondaire.
Mais dans l’administration Tshisekedi, il faudra attendre. Prenant la mesure du problème, au cours d’un conseil des ministres du mois d’août 2022, le président congolais avait fustigé cette situation, estimant qu’il était injuste qu’il y ait encore des gens qui travaillent sans être payé. Félix Tshisekedi institua alors une commission tripartite (ministre de la fonction publique, du budget et des finances) dont la mission a été justement de voir dans quelle mesure résoudre ce problème. La logique aurait voulu qu’on en finassât avec Kinshasa, dégager les fictifs et doublons pour avoir un fichier sain pour la capitale, avant d’inscrire les récipiendaires dans la liste définitive de paie.
73.000 recensés sur 450.000 déclarés, représentent 71, 63 millions USD d’économie/mois !
C’est en cela d’ailleurs que tous les non – payés de la ville de Kinshasa s’attendaient bien allégrement. Surtout que peu après la fin de cette opération, le ministre Lihau avait fait une sortie médiatique fracassante, où il annonçait le résultat à mi – parcours de l’opération de recensement biométrique pour la capitale de la RD – Congo. A en croire à ses données, il aurait eu au départ 450.000 fonctionnaires déclarés (payés, non – payés et nouvelles unités), pour seulement l’ancienne Léopold – ville. Au terme de la première opération, il en restait un peu plus de 150.000 ; ce nombre chuta à 73.000 (payés, non – payés et nouvelles unités), après la dernière opération qu’est le recensement biométrique. Ce qui donne un total de 377.000 fonctionnaires fictifs et doublons définitivement retirés de la liste d’agents de l’état. S’il faut considérer qu’un fonctionnaire a un traitement mensuel équivalent à 190 USD, sans compter les primes et autres avantages, ce nombre (377.000) représente 71, 63 millions de dollars américains d’économie mensuelle engrangée et 859, 56 millions USD d’épargne en une année!
Dans ce nombre de fonctionnaires recensés, les nouvelles unités et non –payés ne représentent qu’un plus de 20%, environ 20.000 agents de carrière. C’est donc avec raison toutes les raisons du monde que ces derniers croyaient que leur moment de se faire payer fût enfin là. Mal leur prit ! Car en septembre 2022, un des mois pour ce genre d’opérations budgétaires, le gouvernement n’en a mécanisé que 3.000 et cela, pour tout le pays.
Plus de 16.000 non – payés de Kinshasa sur 20.000 ne seront pas payés au cours de 2023
Quant au chiffre exact pour la ville de Kinshasa, il nous a été impossible d’en savoir, puisqu’aucune statistique n’a été jusqu’à ce jour affichée. En plus, les tentatives de votre journal auprès du ministère du budget se sont révélées infructueuses…
Pire, en meeting à Mbandaka, le ministre Lihau a récidivé annonçant que 100.000 non – payés allaient être mécanisés, d’ici fin 2023. Comme toujours sans préciser le nombre de fonctionnaires par province qui pourront bénéficier de cette mesure. Mathématiquement cependant, il s’en dégage que près 3.900 agents par province (sur les 26 que compte le pays) pourraient en être bénéficiaires, dans ce présent exercice budgétaire. C’est dire donc que pour la ville de Kinshasa- avec ses 20.000 non – payés-, il y aurait, pour cette année, quelques choses comme plus de 16.000 fonctionnaires qui conserveront leur statut de fonctionnaire bénévole !
« On n’y peut rien, que voulez – vous ? La décision de payer les fonctionnaires ne dépend que du gouvernement », s’entend – on dire à chaque fois qu’une victime essaye, auprès des services compétents, d’en savoir un peu plus sur l’évolution de la mécanisation. « Si vous voulez vous retrouver dans le lot, passez par l’autre chemin », lance un autre fonctionnaire, visiblement soucieux d’aider, allusion faite à la corruption. La victime est donc invité de passer par des réseaux tapis au sein l’administration publique. Tenus par quelques fonctionnaires du ministère de la fonction publique et du budget, ces derniers proposent leur parrainage en contrepartie des espèces sonnantes et trébuchantes.
Coût du service : entre 100 à 150 dollars américains pour les ministères autres que ceux du budget, des finances et des affaires étrangères, selon le résultat de l’enquête menée par votre journal depuis septembre 2022, sur un échantillon de 6 ministères. Quant à ces trois ministères cités, cette caution peut frôler les 1.000 USD. A défaut de quoi, le récipiendaire devra s’engager à laisser ses revenus (salaire et prime) être perçu par son bienfaiteur durant un laps de temps déterminé (généralement, c’est trois mois).
En dehors de ces deux possibilités, pas vraiment d’autres issues !
Une autre possibilité, gratuite cette fois – là, est celle qui consiste à recourir au service d’une personnalité politique de haut rang. Cette dernière aura alors à cœur d’en parler au ministre de la fonction publique et/ou du budget, et, l’affaire… est réglée. Pour ce faire, il suffit d’être soit d’être recommandé auprès de l’autorité par une relation ou être un (e) de ses proches soit être membre du parti présidentiel, Udps/Tshisekedi ou celui d’un des partis politiques membres influents de la Majorité, Union sacrée. Dont l’Afdc – A de Modeste Bahati Lukwebo, l’Unc de Vital Kamerhe, Mlc de Bemba – Gombo, etc. En dehors de ces deux possibilités, nous rassure – t – on, il faudra en tout cas être aimé des dieux…