RD-Congo : les Boyomais attendent 225 millions USD de 325 millions USD que l’Ouganda doit à la RD-Congo
La décision finale de la Cour internationale de justice (CIJ) est tombée ce mercredi 9 février 2022, l’Ouganda doit payer 325 millions de dollars à la RD Congo. Ce montant concerne les effets d’une guerre brutale de 1998-2003 imposée à la RD Congo par ses pays voisins de l’Est dont l’Ouganda. Cette décision met fin à une longue bataille juridique de Kinshasa contre Kampala.
La victoire est d’abord celle des victimes, surtout des habitants de la ville de Kisangani, dits Boyomais, où le Rwanda et l’Ouganda se sont livrés, en marge de leur agression de la RD-Congo, à une bataille meurtrière du 5 au 10 juin 2000, causant plus de 1000 morts et blessant au moins 3000 RD-congolais civils.
Pour la juge américaine Joan E. Donoghue, présidente de la CIJ, les réparations sont compensatoires et non destinées à être punitives. La CIJ a jugé que l’Ouganda avait violé les normes internationales en tant que force d’occupation entre 1998 et 2003. Les juges ont conclu que l’Ouganda était responsable de la mort de 10 à 15 000 personnes dans la région de l’Ituri. Dans son jugement, la Cour a déclaré : « La réparation accordée à la RDC pour les dommages aux personnes et aux biens reflète le préjudice subi par les individus et les communautés du fait de la violation par l’Ouganda de ses obligations internationales ».
Le montant comprend 225 millions de dollars à payer pour « les pertes en vies humaines et autres dommages aux personnes », notamment le viol, la conscription d’enfants soldats et le déplacement de jusqu’à 500 000 personnes, 40 millions de dollars pour les dommages matériels et 60 millions de dollars pour les dommages aux ressources naturelles, y compris le pillage de l’or, des diamants, du bois et d’autres biens par les forces ougandaises ou les rebelles qu’ils soutenaient. Le tribunal propose à l’Ouganda de payer cinq versements annuels de 65 millions de dollars entre 2022 et 2026, le premier versement étant dû en septembre.
L’ordonnance d’indemnisation est intervenue plus de 15 ans après que le tribunal de l’ONU a statué dans un jugement complexe de 119 pages selon lequel les combats des troupes ougandaises en RDC enfreignaient le droit international.
Fondée après la Seconde Guerre mondiale, la CIJ statue sur les différends entre pays, principalement fondés sur des traités, et ses décisions sont définitives et sans appel, mais elle n’a aucun moyen de les faire appliquer.
L’Ouganda contre-attaque déjà
Après la publication de la décision du tribunal, l’Ouganda a rejeté le verdict le considérant injuste. Le procureur général Kiryowa Kiwanuka a demandé pourquoi les troupes ougandaises avaient été « isolées » alors que de nombreuses forces différentes étaient impliquées. « Il vise essentiellement à rendre l’Ouganda responsable de tout ce qui s’est passé pendant le conflit », a-t-il déclaré. Il n’a pas évoqué le paiement des réparations, mais il a déclaré que l’Ouganda continuerait à « s’engager avec » le gouvernement congolais pour résoudre le problème. Dans le même temps, le tribunal s’est prononcé sur une demande reconventionnelle déposée par l’Ouganda, affirmant qu’il devait être indemnisé après l’attaque de son ambassade à Kinshasa et les mauvais traitements y subis par ses diplomates.
En 2005, la cour avait déjà ordonné à l’Ouganda de payer une compensation pour avoir envahi la RD Congo dans une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts et déplacé des millions de personnes, mais le montant exact n’était pas fixé. Le tribunal avait ordonné aux deux pays de négocier des réparations mais ils n’avaient pas pu parvenir à un accord. La RD Congo avait réclamé 6 à 10 milliards de dollars américains. L’Ouganda avait fait valoir que ces montants détruiraient son économie. Le tribunal, saisi, avait déclaré que son ordonnance serait « dans les limites de la capacité de paiement de l’Ouganda ». L’Ouganda avait déclaré lors des audiences en avril 2021 que la réclamation de la RD Congo pourrait ruiner son économie et que cette dernière n’avait pas fourni de preuves suffisantes des pertes subies. Ainsi, l’Ouganda avait rejeté ce qu’il qualifiait de demandes « stupéfiantes », affirmant que la somme réclamée était « disproportionnée et économiquement ruineuse ».
Coup dur pour la RD Congo
La décision du tribunal constitue un coup dur pour la RD Congo après une longue bataille juridique pour obtenir une indemnisation suite au conflit dévastateur de 1998-2003. Après l’échec des pourparlers débutés depuis 2005, la RD Congo est revenue devant le tribunal en 2015 pour une décision finale sur le montant de l’indemnisation tout en réclamant 11 milliards de dollars de réparations. En 2021, les avocats de la RD Congo devant les tribunaux accusaient l’Ouganda « de graves violations des droits de l’homme frisant la barbarie ». Ils avaient déclaré que l’Ouganda devait « assumer pleinement sa responsabilité pour le préjudice causé… et une contribution substantielle ». Le pays exigeait une indemnisation non seulement au nom des victimes présumées de l’implication de l’Ouganda dans le conflit, mais aussi pour les pertes macroéconomiques, la perte de ressources naturelles et les dommages causés à la faune au cours d’une guerre de cinq ans qui a laissé des centaines de milliers de morts des congolais.
La RD Congo avait porté l’affaire devant la justice en 1999 contre l’Ouganda pour des actes d’agression armée commis contre elle et ses citoyens. Elle a accusé les soldats ougandais de pillage et de violations des droits de l’homme. Il est clair que le montant proposé par la cours semble peu par rapport aux dégâts matériels, moraux et psychologiques causés sur terrain. La RD Congo n’a pas obtenu de la cour une ordonnance imposant le jugement des responsables Ougandais. Et les juges ont en plus refusé de laisser le dossier ouvert comme souhaité par le pays.
Dans les années 1990, des troupes ougandaises et rwandaises avaient envahi à deux reprises la RD Congo, travaillant avec des milices locales pour renverser le gouvernement. Ils ont fait valoir qu’ils voulaient empêcher le conflit en RD Congo de se répandre au-delà de leurs frontières. Ce conflit armé avait attiré neuf pays africains dont l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi soutenant les forces rebelles contre le gouvernement de Kinshasa soutenu par l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie, le Tchad, le Soudan et la Lybie. Au même moment le Rwanda et l’Ouganda se bousculaient pour le contrôle de la région de l’Ituri, riche en minerais.
Situation actuelle
Actuellement, les troupes ougandaises sont de retour en Ituri sur « invitation du gouvernement Congolais » sans l’aval des deux parlements. Ils y ont lancé une offensive contre les Forces démocratiques alliées supposée affiliées au groupe armé ISIL (ISIS). Les ADF, formées en 1995, ont été accusées d’avoir perpétré des dizaines d’attaques dans l’est de la RD Congo et à Kampala récemment. Le Kivu Security Tracker (KST), basé aux États-Unis, lui reproche plus de 1 200 morts rien qu’à Beni depuis 2017. De nombreux groupes armés, soutenus parfois par les pays voisins (Ouganda, Rwanda et Burundi) , font toujours des ravages dans l’est de la RD Congo, riche en minerais, depuis des décennies.