RD-Congo : le projet port en eau profonde de Banana, ce que le malaise cache réellement !

A Kinshasa comme à Dubaï, tout le monde se passe la patate chaude. L’omerta se serait imposée dans le dossier de la construction du port en eau profonde à Banana dans le Kongo Central.

Alors que le chef de l’État rd-congolais, Félix Tshisekedi, a procédé à la pose de la première pierre fin janvier 2022, suivi d’une déclaration du patron de DP World, selon qui le port de Banana « sera un port moderne de classe mondiale et changera sans aucun doute la donne pour la RD-Congo », tout ceci ne semble être que de l’enfumage. Les parties n’accorderaient leurs violons.

Tout, sauf Tshisekedi !

Le problème, DP World ne souhaiterait pas lancer le projet sous le règne de Tshisekedi et, de son côté, celui-ci voudrait renégocier le terme du contrat pour des raisons non avouées publiquement.

Contacter plusieurs fois par la rédaction de cfinances.info, André Martin, gestionnaire principal des relations extérieures de DP World refuse de répondre à toutes les questions concernant le contrat avec la RD-Congo. L’affaire est trop sensible, apprend-on du côté de Dubaï.

A Kinshasa, rien d’officiel ne filtre. La forte délégation de 6 ministres rd-congolais dépêchés à Dubaï au début du mois de mars de cette année est rentrée presque bredouille. Le pessimisme était perceptible dans la déclaration du chef de la délégation rd-congolaise, Julien Paluku, même s’il n’a pas révélé le contenu des discussions et les points de discorde. 

Selon le ministre rd-congolais de l’industrie, l’objectif de la mission était de « rassurer DP World que la RD-Congo ne sera pas à l’origine de la suspension du partenariat et s’acquittera de ses obligations ». Cette phrase du ministre dit tout et explique tout. La pose de la première pierre par le chef de l’État, Felix Tshisekedi, n’était-elle que de l’enfumage ? Pourquoi avoir mis la charrue avant le bœuf ? 

Le révisionnisme du nouvel impétrant

Les sources de cfinances.info sur place à Dubaï font état du refus catégorique de DP World de faire avancer ce projet sous le régime de Tshisekedi. Sans vouloir l’annuler, on raconte dans les couloirs de DP World que la compagnie prend son temps dans l’espoir que le régime changera bientôt au pays de Lumumba. DP World reprocherait principalement au pouvoir de Kinshasa deux choses.

En effet, pour DP World, en vertu du contrat initial signé entre les deux parties en mars 2018, la RD-Congo était sensée nommer des mandataires au sein de la joint-venture, appelée « Port Autonome de Banana», qui devrait être créée entre une société étatique rd-congolaise et DP World.  Cette joint-venture devrait ensuite conclure un contrat de concession avec la RD-Congo. Cependant, le même contrat donnait deux ans à l’État rd-congolais pour la mise en place de cette structure, faute de quoi, le contrat en entièreté devenait caduc. Mais quelques mois plus tard, le régime de Kabila, qui avait négocié les termes de ce contrat, a été remplacé par celui de Tshisekedi.

DP World reproche donc à Félix Tshisekedi d’avoir instruit son ministre de portefeuille de ne pas nommer ces mandataires afin de lui permettre de renégocier un nouveau contrat, selon ses termes et non celui de la kabilie (autre nom donné au régime de Joseph Kabila), lorsque le contrat deviendrait caduc dans deux ans, soit en mars 2020.

Dubaï reprocherait aussi à Kinshasa son projet de pont qui le reliera à Brazzaville. Pour eux, un tel projet ouvrirait le marché de la RD-Congo à Bolloré qui a construit une plateforme de transbordement à Pointe-Noire, considérée aujourd’hui comme la porte d’entrée du bassin du Congo.

La guerre Tshisekedi-Kabila autour de Banana

A Kinshasa, c’est une autre compréhension des événements qui ressort. Des conseillers du chef de l’État rd-congolais contactés par cfinances.info reconnaissent que Félix Tshisekedi avait intentionnellement refusé de faire nommer des mandataires afin de lui permettre de renégocier le contrat au bout de deux ans. Pour eux, le contrat signé par Kabila désavantagerait la RD-Congo au profit de DP World et des intérêts des hommes forts de l’époque en RD-Congo. 

Selon eux, le régime de Tshisekedi n’avait pas l’intention de renégocier toutes les 34 clauses du contrat. Seulement deux clauses énerveraient les intérêts du pays, à savoir celle qui attribuerait à DP World un périmètre d’exclusivité s’étendant sur une zone de 90 km ainsi que la clause qui mettrait en charge de l’État rd-congolais le coût de la relocalisation de la base militaire stratégique de Banana.

Par ailleurs, le président de la République rd-congolaise qui se serait impliqué personnellement dans la renégociation du contrat, n’a pas digéré, en son temps, d’être floué par le duo DP World – Kabilie.

En effet, en mars 2020, alors que la renégociation du contrat avait presqu’abouti et qu’on n’attendait que la signature formelle de DP World pour être officialisé, le ministre des Transports et des Voies de communication du gouvernement Ilunkamba, le PALU/FCC Didier Mazengu Mukanzu, aurait conduit une autre négociation en parallèle avec DP World. Cette négociation parallèle avait abouti à la prise, par le ministre, d’une ordonnance de prorogation de 18 mois du délai butoir de caducité. Annihilant ainsi tous les efforts entrepris par le cabinet du chef de l’État.

On ne nous dit pas tout

Même à la présidence les voix sont discordantes. Personne n’explique de manière intelligible les intérêts de la RD-Congo dans cette rixe par procuration entre l’ancien régime et le nouveau autour de Banana. L’antagonisme serait plutôt autour des avantages personnels.

Certains conseillers reprocheraient à leurs collègues, surtout ceux qui ont un lien particulier avec le chef de l’État, une attitude vengeresse au dépens des intérêts de l’État.

Ces conseillers voient très mal pourquoi Félix Tshisekedi laisserait tomber un projet dont le coût d’exécution se chiffre à 1,65 milliard USD seulement parce qu’il estime que Kabila aurait négocié ce contrat de telle manière que lui et ses proches en soient aussi des bénéficiaires.

Un des conseillers impliqués dans le dossier a expliqué à cfinances.info que c’est une chance pour la RD-Congo d’avoir convaincu DP World de reprendre ce projet. Il rappelle que le projet de construction d’un port en eaux profondes à Banana date de 1929. Plusieurs grands joueurs dans le secteur auraient été contactés dans le passé, mais personnes n’a accepté de passer à l’acte. « Si le problème était seulement avec les deux clauses sur les 34 que contient le contrat, je ne vois pas pourquoi on sacrifierait l’avenir de toute une nation. Le vrai problème est ailleurs. Demandez que soit rendu public tous les accords signés autour de ce projet, comme l’exige la loi, vous comprendrez par vous-mêmes que ce sont les gains personnels des dirigeants du pays qui divisent », nous explique un des conseillers qui a requis l’anonymat.

A tort ou à raison, le refus de Tshisekedi pourrait aussi se justifier, car DP World ne traine pas une bonne réputation derrière elle, les djiboutiens en savent quelque chose.

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S Gayala

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