Les millions USD grâce au M23 : la complicité de Kinshasa, Kigali et Kampala
Des milliers de dollars par jour, voire des dizaines de millions de dollars par mois sont générés pour le Rwanda et l’Ouganda grâce au blocage stratégique de l’axe Goma-Kanyabayonga sur la nationale numéro 2 par le M23. Complicité des certains dirigeants de la RD-Congo ou accord tacite entre les faux-vrais belligérants ? L’enquête menée sur le terrain par la rédaction de cfinances.info révèle une connivence criminelle de haut niveau qui mine l’économie de la province du grand Kivu au profit, d’une part d’un groupe d’affairistes rd-congolais et de l’autre, de deux états voisins, le Rwanda et l’Ouganda.
« La nouvelle route de la guerre »
Décidément, la nouvelle route de soie chinoise inspire outre grands-lacs africains. Pendant trois semaines, les reporters de cfinances.info ont fait « la nouvelle route de la guerre » de Goma à Kanyabayanga. Sa trajectoire dit tout en elle-même. Elle part de Goma et passe désormais par Gisenyi puis Ruhengeri jusqu’au poste frontalier de Cyanika au Rwanda. Elle traverse l’autre coté en Ouganda, au poste frontalier de Kisoro, et est dévié expressément, pour des raisons évidentes, vers le Nord-Est en direction de Kampala, avant de prendre l’ouest au niveau Ntungamo, direction RDC, jusqu’au poste frontalier de Mpondwe.
Traversée du côté de la RD-Congo au poste frontalier de Kasindi, pour attendre Kanyabayonga, la nouvelle route de guerre passe par Beni, Butembo et Lubero. Et même à l’intérieur de la RD-Congo, la trajectoire de la nouvelle route de guerre traverse littéralement une zone de non-État, mieux, un autre État dans l’État RD-Congolais, complétement sous le contrôle des forces militaro-politique et financières étrangères en accord avec le pouvoir de Kinshasa, nous y reviendrons.
La stratégique économique via la position du M23
Le tronçon de la nationale numéro 2 (N2), qui va de sa bifurcation avec la Nationale Numéro 3 (N3) au nord de la ville de Bukavu en passant par Goma jusqu’à Beni, est la colonne vertébrale économique de cette partie extrêmement riche (par son sol et sous-sol) de la RD-Congo.
Chaque jour, avant l’aventure du M23, des milliers de personnes et de tonnes de marchandes transportées par des véhicules de tout genre (des gros camions remorques aux motocycles) faisaient des navettes dans les deux sens entre Goma et Beni en passant par Kanyabayonga, Bubero, Butembo. Ce qui représentait une source de revenu pour les habitants des villes et villages tout le long de cette voie.
Depuis novembre 2021, le M23, un mouvement militaire essentiellement Tutsi, soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, s’est installé au nord de Goma autour de la N2, empêchant ainsi tout échange commercial et humain sur cette voie. Ce positionnement est plus militaire qu’économique, car il n’arrête pas les échanges, mais dévie plutôt expressément la route qui doit désormais passer par le Rwanda et l’Ouganda en créant une source de revenu importante pour les deux pays. Toutes choses étant égales par ailleurs, on comprendra d’où vient le financement du M23, en prenant qui a intérêt que le M23 maintienne sa position actuelle.
Traitrise et complicité de Kinshasa ?
Déjà à Goma, la queue de véhicules, transportant marchandises et personnes se dirigeant vers le poste frontalier de Rwanda, est impressionnante en nombre et parfois en genre. On y trouve non seulement des simples commerçants, mais aussi les officiels congolais en mission ou villégiature entre Goma et Beni.
Pour traverser le poste frontalier, il faut avoir une preuve de test Covid négatif ou déboursé 10 USD. Cependant, sur le reçu qui fait preuve de paiement, il est seulement inscrit 5 USD. Des proches du régime de Kinshasa sont donc à la manette, raconte-t-on. Les affaires marchent très bien ici, grâce au M23, car le nombre de demandeurs de ce test a été multiplié par milliers.
Hormis le test Covid, à l’absence d’un passeport valide, toujours du côté congolais, la Direction Générale des Migrations (DGM) vous fait acheter un tenant-lieu de passeport à 45 USD qui, selon les propos de l’agent qui le vendait aux reporters de cfinances.info, a plusieurs avantages dont « le fait d’éviter d’autres frais au Rwanda, en Ouganda, et de l’autre côté à Kasindi. Ce tenant-lieu a une durée plus longue… Sinon, vous devez débourser 10 USD pour un simple laissez-passer, à usage unique ». Dans tout ça aucune preuve de paiement, nous a été remis.
On en est toujours pas à la fin de la peine, on a pas toujours le droit de traverser…. la frontière. Car, il faut que chaque véhicule débourse 15 USD comme taxe de sortie. On peut tout de suite comprendre pourquoi, même alors que le M23 était à la porte de Goma, à Kinshasa les affairistes se battaient pour administrer ce poste frontalier. « Avez-vous observé les agents de l’Etat, ils ne sont pas majoritairement d’ici… Ils parlent à peine la langue…. Vous comprendrez pourquoi on ne permettra pas au M23 de marcher sur Goma, car cela réunira le nord et le sud de la province, ouvrira le trafic direct Goma-Beni et mettra fin à cette pratique qui enrichit les autorités rd-congolaises et ainsi que le Rwanda et l’Ouganda », nous explique le chauffeur du véhicule qui transporte les reporteurs de cfinances.info., alors que nous traversions la barrière et entrions au poste frontalier de Gisenyi au Rwanda.
La pluie de taxe à Gisenyi pour entretenir le Rwanda
Déjà une chose saute aux yeux, une fois traversé du côté du Rwanda, le chaos de l’immigration rd-congolaise s’arrête. Même la route, celle-là même qui vient du côté de Goma, est très bien entretenue à Gisenyi. Quoi de plus, les agents sont polis, organisés, structurés, etc. On peut se dire tout de suite où va l’argent de la nouvelle route de guerre made in M23.
Du côté du Rwanda, on débourse tout de suite, reçu à la main, 15 USD comme taxe d’entrée. Notre véhicule ayant une plaque d’immatriculation RD-Congolaise, il fallait aussi payer 35 USD comme taxe d’immatriculation et 80 USD comme taxe d’entretien routier.
Les deux heures faites sur les routes rwandaises reflètent effectivement ce qui n’était qu’une réaction instantanée au poste frontalier de Gisenyi. Une seule impression incontestable vous envahit l’esprit : tout était déjà très bien fait et préparé pour accueillir le détour occasionné par le M23. 90 km de Gisenyi à Ruhengeri, non seulement la route est très bien entretenue, il y a plein de place de repos qui naissent et s’imposent comme lieu d’échanges commerciaux. Touristes, voyageurs, officiels et autres venus de la RD-Congo y laissent quelques dollars gagnés dans ce pays en guerre, au plaisir des businesses locaux.
De Ruhengeri, après un repos mérité, nous avions pris le chemin du poste frontalier de Cyanika qui sépare le Rwanda de l’Ouganda. Et contrairement à la RD-Congo où on paie en entrant comme en sortant, au poste frontalier de Cyanika au Rwanda, aucun frais n’est exigé….
L’Ouganda, le gros du prix est payé Kisoro
Lorsque l’on traverse le poste frontalier de Cyanika, on est de plein pied à Kisoro en Ouganda. Ici, c’est un autre monde, les prix doublent. Un visa d’entrée est texigé aux rd-Congolais : 50 USD par personne. Les véhicules SUV (jeeps) paient chacun 72 USD alors que les camions en déboursent le double, mise à part les 200 USD exigés aux camions et entreprises commerciales comme frais d’entretien routier. Au-dessus de tous ces frais, tout véhicule, sans exception de sa taille, plaqué RD-Congo, doit payer 130 USD de taxe de circulation avec immatriculation étrangère en Ouganda.
« Merci M23 », s’est crié notre chauffeur…. Avant d’ajouter : « vous comprenez maintenant ce que je vous disais à Goma ? Le M23 est la raison pour laquelle nous devons faire ce détour et faire entrer l’argent au Rwanda et en Ouganda. Observer le nombre de véhicules avec les plaques RD-Congolais. Ce poste frontalier n’existerait pas si le M23 n’était pas aux environs de la N2 au nord de Goma. Regardez comment ici la route est construite…. Voyez les engins de constructions stationnées ci et là. C’est une preuve que la construction de route continue. Ils cherchent à les agrandir puisque l’argent entre abondamment », commente-t-il en pointant les bulldozers stationnés non loin de là.
De Kisoro, nous avions pris la route vers Kampala jusqu’à Ntungamo où nous avons bifurqué à gauche, en route vers la RD-Congo, le poste frontalier de Kasindi, dans le territoire de Béni vers le mont- Rwenzori.
Une chose, au-delà des cœurs troublés par le scélérat institutionalisé au prix de sang humain, la nature a doté cette région d’une beauté ineffable qui contraste avec l’esprit ses dirigeants…. La verdure qui habille, comme un vêtement de la mariée, ces chaines de montagnes qui elles-mêmes ambrassent le doux bleu du ciel, vous fait dire tout de suite que Dieu s’est construit une échelle par laquelle il descend rencontrer l’humain dans ce beau jardin de l’est de l’Afrique. Hélas, la poésie ne s’écrit avec l’encre de sang des milliers de victimes RD-Congolaises.
7 heures après avoir traversé le poste frontalier de Kisoro, nous voici arrivé au poste frontalier de Mpondwe. Il fait déjà presque nuit, les services frontaliers sont fermés, on est obligé de passer la nuit du côté de l’Ouganda.
On n’y est pas seuls, des milliers de personnes, congolais comme étrangers, y passeront la nuit. Ici les affaires marchent très bien. Le nombre d’hôtels et restaurants-bars que nous avions pris la peine de visiter cette nuit-là le confirme. Movic Hotel, La guest House, Atalanta Motel, Vienna Hotel-Bwera, Mama Safari Gardens and Hotel, Edeniques Hotels (Guesthouse, Gardens, and Restaurant), Rest land guest house Bwera Mpondwe, Elite Peak Restaurant and Accommodation Bwera, Trax Holiday Cottage, pour ne citer que ceux-là.
Tous ces hôtels sur une distance d’à peu près 10 km le long de la route nationale ougandaise A109. A côté de ces hôtels, s’est développé tout un circuit d’affaires et d’échanges commerciaux très bien structurés et gérés par des institutions comme Rusese Trading Center, Mpondwe market, Kilembe investments limited, etc. Sans compter sur le nombre d’institutions de formation, des entreprises en ingénierie, des banques, etc., on comprend tout de suite pourquoi Beni a le regard tourné vers l’est.
Pour passer une bonne nuit à Mpondwe, au moins 50 dollars par personne sont dépensés. Et le matin, nous sommes prêts à traverser la frontière de Mpondwe pour accéder en RD-Congo par son poste frontalier de Kasindi.
Le vrai patron de Beni-Butembo à chercher à Kampala
Le soleil se lève sur la RD-Congo avec tout son lot de problèmes. Un désordre très bien entretenu, une insalubrité voulue. « Vous voyez déjà de loin la différence entre Mpondwe et Kasindi. Croyez-vous que les RD-Congolais ne peuvent pas ne fut-ce que ramasser les poubelles qui trainent ? Si, mais ils veulent garder cet endroit ainsi, afin de ne pas attirer attention sur ce qui s’y passe. Si c’est propre avec des beaux bureaux, on saura que l’argent passe par ici… », commente alors le chauffeur, alors que nous étions dans la file en attendant notre tour de passer la barrière.
A Kasindi, le compteur est repris à zéro, il nous faut encore une preuve de vaccination et payer un droit d’entrée ou réentrée, une trentaine de dollars. Mais puisque nous avions aucune marchandise et notre véhicule était non commercial, pas trop à débourser pour nous. Mais pour les commerçants, c’est une autre histoire. Non seulement la DGM, mais aussi la douane entre en jeu. Plusieurs de ces commerçants viennent de Goma avec leurs marchandises, font le détour par le Rwanda et l’Ouganda, pour revenir en RD-Congo la douane s’implique. Combien doivent-ils payer, difficile de savoir. Des centaines de dollars pour les uns et rien pour les autres. Le chaos est à la rd-congolaise.
De Kasindi, pour nous rendre au sud, à Kanyabayonga, qui était notre point de chute, il fallait d’abord prendre le nord vers Beni, le seul chemin existant et praticable du coin. De Beni descendre à Butembo, puis Lubero. Sur le chemin, deux choses très remarquables sautent aux yeux. La première, les petites barrières érigées par la soldatesque rd-congolaise ci et là pour truander les voyageurs. La deuxième, est l’absence officielle de l’autorité étatique sur ce tronçon. Tout, alors tout est entre les mains ougandaises.
La première chose, qui est une vérité de lapalissade, l’Ouganda, avec ses sociétés et travailleurs, construit la route qui va de Kasindi, à Butembo, en passant par Beni. Entre Kasindi et Beni, pendant les deux heures que nous avions fait sur cette route, tout (humains, marchandises et véhicules) est contrôlé par l’armée ougandaise. Une troupe d’élites s’y est installée et a pris racine. Leurs équipements (tenus et armes) de dernier cri montrent qu’ils n’ont rien en commun avec les soldats rd-congolais. Appuyés par des véhicules blindés et une vingtaine de chars de combats arborant le drapeau ougandais, ces militaires patrouillent la zone, sécurisent les travaux de constructions ainsi que les personnes et leurs biens. A la dernière nouvelle, cela était encore une compétence dévolue à l’Etat…. Rd-congolais, soit !
Après avoir conduit deux heures de Kasindi à Beni, une heure de Beni à Butembo, une heure trente de Butembo à Lubero et trois heures de Lubero à Kanyabayonga, nos reporters ont fait ce constat malheureux que la RD-Congo, du moins, cette zone est un État dans l’État. Le chaos est entretenu et les profiteurs ne sont pas seulement à chercher à l’extérieur des frontières rd-congolaises. « Quand la N2 était ouverte, je conduisais environ 80 Km de Goma à Kiwandja où je m’arrêtais pour faire des achats ou me reposer, puis je reprenais encore la route pour faire environ 100 km pour atteindre Kanyabayonga, mais aujourd’hui nous devons faire ce détour et nourrir un réseau de mafieux, tout ça à cause du M23 », concluait notre chauffeur, alors que nous déposions nos valises dans un motel de Kanyaboyonga où nous devrions passer quelques jours avant de reprendre le chemin de retour.
Un commentaire sur “Les millions USD grâce au M23 : la complicité de Kinshasa, Kigali et Kampala”
Les commentaires sont fermés.