Lac Albert : 10 milliards USD pour l’exploitation de son pétrole, en l’absence de la RD-Congo

Le mardi 2 février 2022, l’Ouganda et la Tanzanie ont lancé le projet de développement du lac Albert, projet majeur représentant un investissement total d’environ 10 milliards USD, un cofinancement chinois (la China National Offshore Oil Corporation, CNOOC) et français (TotalEnergies). L’activité a eu lieu à Kampala, en présence de Yoweri Museveni,  Philip Mpango (Vice-Président de la République Unie de Tanzanie), Patrick Pouyanné (Président-Directeur Général de TotalEnergies),  et des représentants des partenaires du projet, à savoir : l’Uganda National Oil Company (UNOC) et la Tanzania Petroleum Développent Corporation (TPDC)).  L’investissement concerne les champs de Tilenga et Kingfisher avec une production estimée à 240 000 barils par jour et dont le début est prévue pour 2025.

La présence de la Tanzanie à la cérémonie se justifie par le fait qu’en plus des projets pétroliers  en Ouganda, il y aura la construction de l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) en Ouganda et en Tanzanie, un pipeline d’exportation de 1 400 km. Le partenariat en amont est réparti entre TotalEnergies (56,67%), CNOOC (28,33%) et UNOC (15%). En aval, la production sera acheminée vers le port de Tanga en Tanzanie via le pipeline transfrontalier EACOP dont les actionnaires sont TotalEnergies (62%), UNOC (15%), TPDC (15%) et CNOOC (8% ). Total appuiera en outre le développement des énergies renouvelables en Ouganda avec pour objectifs de développer 1 GW de capacité installée, de promouvoir l’accès à l’électricité et à l’énergie propre, de soutenir les objectifs nationaux en matière de changement climatique à travers le déploiement de projets de réduction de l’empreinte carbone.  Au finish, on estime  la création d’un total de 160 000 emplois et environ 3,8 milliards de dollars sont déjà investis.

Le lac Albert, la RD Congo et l’Ouganda

Le lac Albert, long de 160 km et large en moyenne de 32 km, est le septième plus grand lac d’Afrique. Il est partagé par l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Les terres entourant le lac Albert sont riches en biodiversité et une partie du côté ougandais est désigné comme zone protégée. Sur la rive congolaise, il se trouve dans la province de l’Ituri et huit points de suintement des hydrocarbures ont été Identifié correspondant aux localités riveraines suivantes : Songa, Ziga, Gobu, Muganga, Nzonzo, Kango, Kaswa et Mahagi Port. En Ouganda, les localités concernés sont : Kibiro, Butiaba et Kaiso.  L’Ituri a connu une guerre brutale en 1998-2003 et est toujours sujet aux conflits armés malgré la présence de troupes des Nations Unies depuis près de 25 ans. L’Ouganda a été impliqué militairement en RD Congo dans les années 1990 avec des liens avec certaines milices congolaises.

La Cour internationale de justice (CIJ), plus haute instance judiciaire des Nations unies, estimant que l’Ouganda avait violé la souveraineté de la Rd Congo et est responsable de violations des droits de l’homme et d’actes de pillage commis lors de la guerre de 1998-2003 vient d’exiger à l’Ouganda le paiement de 325 millions de dollars US pour réparations. La zone reste toujours sujet d’insécurité avec des massacres au quotidien malgré l’état de siège décrété par le gouvernement, la présence officielle de l’armée ougandaise sur demande de Kinshasa ainsi que celles des Nations-Unies.  

Découverte de pétrole dans le lac Albert

La part ougandaise du pétrole autour du lac Albert a été qualifiée de plus grande d’Afrique subsaharienne découverte à terre en 20 ans. L’exploration pétrolière actuelle a commencé dans la partie ougandaise à la fin des années 1990, augmenté en 2003–4, et des découvertes majeures ont été confirmées en 2006 et 2007. Le gouvernement ougandais a négocié et renégocié des accords de partage de production (PSA) avec des compagnies pétrolières internationales depuis plus de 10 ans : Heritage  et Tullow qui développait des partenariats avec les plus grandes sociétés de production internationales Total et CNOOC (Chine), Tour et Dominion. Du côté de la RDC, l’exploration pétrolière s’est développé plus lentement , bien que la RDC soit producteur de pétrole depuis le milieu les années 1970 dans d’autres provinces du pays.

En rd Congo, le Lac Albert fait partie d’une saga de la corruption depuis la découverte du pétrole.  En 2021, des organisations anti-corruption congolaises et internationales ont salué l’expiration des permis de recherche accordés au milliardaire israélien Dan Gertler  en 2010. A noter que ce dernier est placé depuis 2017 sous sanctions du Trésor américain. Le ministère des Hydrocarbures a mis fin au contrat de partage de production entre la RD Congo et l’association Caprilcat Ltd ainsi que Foxwhelp Ltd sur les deux blocs pétroliers, tout en les enjoignant de transmettre au gouvernement tous les résultats d’exploration réalisée. Ceci à la satisfaction des organisations citoyennes comme le collectif  « Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV) ». 

La saga a commencé depuis 2002 avec Heritage Oil (basée à Londres) pour les recherches sur 5 blocs pétroliers. En 2006, Heritage Oil et Tullow Oil décident de se partager la production des blocs 1 et 2 avec le gouvernement congolais. En 2007, le bloc 1 est confié à un consortium sud-africain au détriment de Tullow Oil. En 2008, Tullow Oil obtint le bloc 2. Toujours en 2008 le bloc 5 est accordé à la société Dominion Petroleum qui s’associe avec SOCO. En 2010, Caprikat et Foxwhelp se voient confiés encore les blocs 1 et 2 en attribuant le bloc 3 à SAC Oil, une compagnie Sud-africaine. 2011 marque l’arrivée du groupe Total pour le bloc 3 mais il se retire en 2019.  Pour ce qui est du bloc 4, il existerait un contrat avec l’Ouganda pour son exploitation au terme duquel contrat 20% des parts seraient octroyés à la RD-Congo.

Inquiétude des Ong de défense de l’environnement

La FIDH (Fédération internationale des droits de l’Homme) et l’ONG Oxfam ont déjà mis en garde contre les risques d’impact sur les modes de vie des populations. Des associations dénoncent également les répercussions sur des écosystèmes « extrêmement sensibles ». En Ouganda, les gisements de pétrole sont situés au sein de plusieurs réserves naturelles. L’un d’eux s’étend jusque dans les Murchison Falls, le plus grand parc national du pays, où un projet de barrage avait déjà provoqué un tollé. Cette production pétrolière va certainement amener des problèmes des pollutions : pollution de l’air, des sols et de l’eau.

Outre les problèmes liés à l’environnement et à la sécurité (conflits armés), en RD Congo ce dossier se caractérise par le manque d’informations sur le développement du secteur, notamment le secret des contrats et la corruption. Un comportement qui risque d’amener la RD Congo à une sous exploitation de ses blocs au profit de l’Ouganda qui avance.

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Sha Nzovu

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