Kasanda Katuala : « La libération de nos territoires ne peut se limiter à la pression internationale » (Interview)

La République démocratique du Congo, longtemps contrainte de mener seule son combat face à l’agression du Rwanda sous couvert du M23, voit désormais le vent tourner en sa faveur sur la scène internationale. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a acté l’envoi d’une mission de vérification des faits et la mise en place d’une commission d’enquête sur les violations des droits humains dans l’est du pays.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution exigeant le retrait du Rwanda. Bruxelles, par la voix de l’Union européenne, plaide pour des sanctions plus fermes, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni frappent Kigali par des mesures économiques et diplomatiques.

Dans cette dynamique, la Cour pénale internationale, par l’entremise de son Procureur, annonce vouloir accélérer ses poursuites pour crimes de guerre. Un front diplomatique se consolide, mais suffira-t-il à infléchir la situation sur le terrain ?

Pour le député national Kasanda Katuala Olivier, « la libération de nos territoires ne peut pas être laissée à la seule pression internationale ». Cet élu de la circonscription de Kinshasa/Lukunga, membre de l’Union sacrée de la Nation (USN) et soutien du Président Félix-Antoine Tshisekedi dans ses efforts pour promouvoir la démocratie, estime qu’il est impératif de renforcer les forces armées en collaboration avec les groupes de résistance locale qui défendent leur terre.

« Cela implique non seulement une augmentation du budget militaire, mais également une meilleure coordination entre nos FARDC et la résistance locale, ainsi que l’acquisition d’équipements modernes », plaide-t-il.

Reconnu pour son engagement en faveur des droits humains et de la sécurité nationale, M. Katuala se montre particulièrement critique envers les leaders du M23 et leurs soutiens rwandais, qu’il accuse de graves violations des droits de l’homme dans les zones sous leur occupation.

Interview exclusive

Les Congolais peuvent-ils espérer la libération des territoires occupés uniquement par la pression internationale ? Quelle complémentarité entre l’option militaire et la voie diplomatique ?

Les Congolais ne doivent pas s’illusionner : la libération de nos territoires ne peut pas être laissée à la seule pression internationale. Prenons l’exemple de l’occupation de Bunagana, Rutshuru, de Goma et de Bukavu, où les forces du M23 continuent de s’enraciner.

Il est impératif que nos forces armées, en collaboration avec les forces de résistance locales, qui défendent leur terre, soient renforcées. Cela implique non seulement une augmentation des budgets militaires, mais également une coordination de l’action de nos FARDC avec la résistance locale, et l’acquisition d’équipements modernes.

Nous devons nous inspirer d’exemples tels que l’Ukraine qui, face à une invasion, a su mobiliser le soutien international tout en menant des offensives audacieuses.

Les résolutions onusiennes et les sanctions internationales sont-elles réellement contraignantes pour Kigali ou risquent-elles de rester symboliques ?

Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et les sanctions internationales peuvent produire des résultats, mais cela nécessite une volonté politique forte et une coordination internationale. L’exemple des sanctions contre la Corée du Nord montre qu’une pression constante peut conduire à des négociations.

Cependant, le cas du Rwanda exige une approche plus proactive. Nous devons exiger que ces résolutions soient accompagnées de mesures concrètes, telles que des embargos sur les ressources qui financent le M23, en ciblant spécifiquement les réseaux d’approvisionnement en minerais qui alimentent l’agression.

Quelles garanties existent pour assurer l’application des décisions internationales dans une région où les résolutions précédentes n’ont souvent eu qu’un effet limité ?

Pour garantir l’application des décisions internationales, un suivi rigoureux est nécessaire. Par exemple, l’Union européenne a mis en place des mécanismes de contrôle pour s’assurer que les sanctions imposées à la Russie sont respectées.

La RDC doit exiger des garanties similaires pour le Rwanda, en insistant sur la nécessité de rapports réguliers sur l’application des sanctions et des résolutions. De plus, la RDC, à la tête d’une coalition d’États africains amis, peut renforcer cette pression en affirmant une position collective contre l’agression.

Le front diplomatique congolais est-il suffisamment structuré pour transformer ces avancées en résultats concrets sur le terrain ?

Le front diplomatique congolais a montré dernièrement toute son efficacité. Toutefois, il devrait être réorganisé de manière à créer une stratégie claire et incisive face à notre agresseur.

Voici quelques recommandations concrètes :

Création d’un Bureau de crise : Inspirons-nous du modèle du Centre de coordination des réponses aux crises de l’Union européenne. La RDC pourrait établir un bureau similaire, réunissant des experts en sécurité, en droits de l’homme et en relations internationales, pour documenter toutes les violations qui sont perpétrées dans les zones occupées, et formuler une réponse unifiée et rapide aux provocations rwandaises.

Renforcement des partenariats internationaux : Bien que la RDC soit membre de la SADC et de la CEEAC, qui semblent se ranger du côté de notre pays, il est essentiel de les inciter à adopter une position plus ferme à l’égard du Rwanda.

Nous devrions demander à ces organisations régionales de condamner explicitement les agressions et de soutenir des sanctions contre Kigali. La RDC devrait aussi organiser des sommets régionaux pour renforcer cette dynamique.

Dialogue avec la société civile et les organisations internationales : je soutiens l’idée du Président de la République d’obtenir l’engagement des forces vives de la Nation dans le processus diplomatique pour renforcer la voix de la RDC sur la scène internationale.

Il s’agit entre autres de la société civile, des opposants politiques hostiles à l’agression rwandaise, des organisations de défense des droits de l’homme et les ONG, etc.

Mobilisation des diasporas congolaises : Notre gouvernement devrait établir des canaux de communication avec notre diaspora pour coordonner le plaidoyer auprès des gouvernements étrangers et des organisations internationales en faveur de la RDC.

Utilisation des plateformes multilatérales : La mise en place du groupe des « Amis de la RDC » pour présenter un dossier solide sur les violations des droits de l’homme et les agressions extérieures, en impliquant des experts en droits humains pour documenter les atrocités.

Les processus mixés de Luanda et de Nairobi, représentent-ils un cadre viable pour une paix durable en RDC ?

Les processus de Luanda et de Nairobi, bien qu’ils offrent une plateforme de dialogue avec respectivement le Rwanda et les groupes armés, ne doivent pas devenir un prétexte pour retarder les actions militaires.

Le processus de paix en Colombie a (de)montré qu’un dialogue peut coexister avec des opérations militaires pour affaiblir les groupes armés. Nous devons clairement établir que tant que les agressions persistent, le dialogue ne sera qu’une option secondaire.

Les sanctions prises contre James Kabarebe, très proche du pouvoir rwandais, sont-elles de nature à freiner la machine de guerre de Kigali ?

Les sanctions contre des figures telles que le Ministre rwandais James Kabarebe doivent être étendues et appliquées sans relâche. Elles doivent inclure des mesures économiques ciblées contre les entreprises et organisations rwandaises qui soutiennent les opérations militaires.

Dans cette dynamique où la diplomatie et les stratégies politiques se croisent, comment faut-il interpréter la démarche des évêques congolais qui ont sillonné la région ?

La démarche des évêques catholiques et des pasteurs de l’ECC, bien que louable dans son intention de promouvoir la paix, risque de devenir une forme de trahison si elle est perçue comme une légitimation des violences subies par notre peuple sans reconnaissance des atrocités commises.

Une approche similaire à celle du dialogue interreligieux en Afrique du Sud, qui a su naviguer entre vérité et réconciliation, pourrait être envisagée, mais seulement après un bilan des souffrances endurées par les Congolais dans les zones occupées.

Quelle devrait être la posture des dirigeants congolais face à ces évolutions ?

Enfin, la posture des dirigeants et des politiques congolais doit être celle d’un pays en guerre, qui cherche à préserver sa souveraineté et à défendre sa terre. Le gouvernement doit adopter une stratégie où les solutions politiques ne sont envisagées qu’après avoir restauré notre intégrité territoriale. Une posture proactive, qui associe dialogue et force, est indispensable.

Propos recueillis par nos confrères de Infos27

La Rédaction

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