Exonérations douanières en RD-Congo : ce que l’IGF nous aurait caché !

Le dernier rapport du Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) publié le vendredi 21 janvier 2022  est plus que révélateur.  Au-delà de la guerre des chiffres entre le rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) et celui du GEC sur le montant approximatif qu’a perdu le trésor public congolais à cause des exonérations douanières, on peut comprendre tout de suite pourquoi l’IGF s’est refusé de donner clairement l’origine de ses chiffres. Les noms de personnes physiques derrières les personnes morales bénéficiaires des exonérations poseraient problème.

alingete

Pour se donner une bonne conscience, à l’IGF on se cache sous deux principes : (1) la non rétroactivité des enquêtes sur le détournement promis par Felix Tshisekedi à travers sa politique de ne jamais fouiner dans le passé ainsi que (2) les principes du respect de la dignité et de l’ordre public prônés par la Convention des Nations Unies contre la corruption. Le couac est que, non seulement ces exonérations douanières ne seraient pas d’un passé lointain, mais surtout elles continuent jusqu’à ce jour et certains caciques du pouvoir de Félix Tshisekedi sont sur la liste des bénéficiaires.

Qui gagne ce que perd le trésor public ? C’est donc le titre du rapport du GEC que plusieurs confrères ont déjà relayé depuis le début de cette semaine. A cfinances.info, ce rapport tombe à pic à l’heure du bilan des trois ans, jour pour jour, du régime de Felix Tshisekedi qui s’est voulu être celui de rupture avec son prédécesseur. Deux leitmotivs vendus comme supports des programmes : le peuple d’abord et l’État de droit. Alors que le président demande déjà, à l’occasion de ses différentes sorties, le renouvellement de son mandat en 2023, ce rapport chiffré, qui reprend l’état des exonérations douanières depuis 2011, est accablant. Le peuple ainsi que l’État des juges (dit État de droit) ne seraient qu’un vœu pieux. Tshisekedi serait-il un Kabila light, pour paraphraser un vieux titre du confrère Lesoft international ? 

Conflit des chiffres

La première de choses qui saute aux yeux, c’est le conflit des chiffres entre l’IGF et le GEC. En effet, dans leur interview accordée précipitamment à la Radio TopCongo.fm le jour même de la publication du rapport de GEC, l’inspecteur général des finances, Jules Alingete et son adjoint, Victor Batubenga affirment que de 2017 à aout 2020, le trésor public a perdu, suite aux exonérations douanières, la somme de 5.7 milliard USD, soit une moyenne annuelle de 1.5 milliards USD.  La réplique était déjà dans le rapport du GEC que l’interview de l’IGF a tenté d’enfumer : « Les exonérations fiscales sont l’une des principales sources de pertes de revenus en RDC. Selon l’Inspection générale des finances (IGF), le pays perd plus de 5 milliards de dollars par an à cause des exonérations fiscales et des compensations injustifiées. Ce chiffre a cependant fait l’objet de nombreuses controverses, et l’IGF n’a pas fourni de détails sur la façon dont elle l’a obtenu ou sur les personnes et entités bénéficiaires de ces exonérations, » lit-on dans le rapport.  

De son côté, la GEC, avec des chiffres et des noms des bénéficiaires, chiffre la perte a au moins 6,3 milliards USD, soit une moyenne annuelle de plus de 630 millions USD, de 2011 à 2020. Déjà avec une différence d’ordre de 100% entre les deux moyennes annuelles, il y a à se demander où se trouve l’erreur.

Le diable se cache donc dans le détail.

On se rappellera que depuis 2020, l’IGF parle de deux grandes mesures prises pour mettre fin à cette grosse perte que subit le trésor public : rationnaliser les exonération et l’interdiction de compensation. Deux mesures qui, selon Victor Batubenga justifie la hausse des recettes de l’État. On reviendra sur la compensation et la leurre de performance qu’elle suscite dans un autre article. Restons avec la rationalisation des exonérations douanières qui aurait mis fin aux avantages indus que tiraient les caciques de l’ancien régime.

Les exonérations douanières ont la peau dure

Le régime de Félix Tshisekedi et l’IGF n’ont pas mis fin à ces exonérations douanières, comme on le prétend. Voilà pourquoi Alingete ne pouvait pas publier tout simplement la source de ses chiffres et les noms des bénéficiaires. Trois ans plus tard, Tshisekedi est l’égal de Kabila en la matière.

Le rapport de GEC publie les catégories d’exonérations douanières selon les critères de l’éligibilité ainsi que les types d’exonérations accordées à chaque catégorie (voir le tableau ci-dessous. Focalisons-nous à une des catégories qui remplissent les trois premiers critères, ainsi qu’aux noms des personnes derrières.

Les trois critères qui nous intéressent sont : (1) être une entreprise constituée sous l’une des formes de sociétés commerciales reconnues en droit congolais, (2) conclure au préalable un accord avec le gouvernement dans le cadre du partenariat stratégique sur les chaines de valeur et (3)enfin, présenter un programme d’investissement global de 15 millions USD. Le décor est planté.

Ces trois critères mis ensemble donne droit à : exonération des droits et taxes à l’importation des biens, intrants, matières premières, et équipements destinés au projet ; rabattement des taxes perçues à l’initiative de différents ministères et services d’assiette aux niveaux central, provincial et local par voie d’arrêt interministériel et ; allégement de couts de rémunération de certaines prestations dans le cadre institutionnel.  


Au regard de ces critères, les compagnies minières bénéficient de 44.3 % d’exonérations, avec 2.8 milliards USD. L’État lui-même, avec le marché public à financement extérieur bénéficie de 18.3 % d’exonérations, ce qui représente 1.1 milliard USD. Ce qui est frappant est que les secteurs indexés par Alingete dans son rapport ne représentent presque rien sur la balance des exonérations. C’est le cas des partenariats Gouvernement provinciaux et entreprises privées en matière d’importation des carburant

Les bénéficiaires de la cour présidentielle d’hier et d’aujourd’hui

Et les bénéficiaires connus ne sont pas à chercher très loin, ils sont dans le régime précédent. On cite des noms comme Gloire Mteyu, sœur à Joseph Kabila, Pascal Kinduelo, Norbert Nkulu, Albert Yuma, Marc Piedboeuf, Eric Monga Alain Wan, etc., tous proches de Kabila, tous d’ailleurs cités dans le grand dossier d’investigation, Congo Hold-up.

Cependant on attend peu de la deuxième personnalité du pays sous Felix Tshisekedi, le président du sénat, Modeste Bahati, avec ses deux cimenteries, Groupe Taverne cimenterie de Katana et Cimenterie du Kivu, qui ont bénéficié des exonérations douanières.

Du côté des miniers, un grand silence. Les proches du nouveau président se seraient découverts un talent dans l’investissement minier, le secteur les plus exonérés de la RD-Congo. Non seulement les rumeurs courent sur la famille propre de Félix Tshisekedi – rumeurs que confirme un ancien secrétaire national de l’UDPS en charge de mobilisation, monsieur Mukoko – et leur présence dans les provinces minières comme le Lualaba, mais il est aujourd’hui impossible de cacher des noms tels que le ministre José Mpanda Kabangu, le conseiller Fortunat Biselele, le ministre Guy Loando Mboyo, etc., tous propriétaires d’entreprises minières qu’ils ont cédées aux prête-noms.


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S Gayala

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