Afrique-USA : fin de l’ère du positionnement idéologique au profit des intérêts économiques ?
Ça se confirme, l’Afrique est l’autre terrain de compétition entre l’aile américaine et ses alliés européens d’un côté et, de l’autre, la Chine, la Russie et alliés. Le plan de Joe Biden, Build Back Better World ou B3W, exposé lors du sommet du G-7, est de toute évidence une stratégie contre-offensive contre l’initiative chinoise Belt and Road (BRI).
Le temps a changé, les puissances l’ont peut-être compris. L’Afrique post-perestroïka se place désormais au-delà des positionnements idéologiques de l’ère guerre froide. L’intérêt économique vient avant tout. Le tempo a été donné lors des différents votes à l’Assemblée générale des Nations unies. La résolution contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, par exemple en est un exemple. Parmi les 54 États membres africains, neuf pays n’ont pas voté, 26 ont choisi de rester neutres, 16 ont se sont abstenus et l’Érythrée a voté contre la résolution. Au total 96% d’africains ne sont pas alignés comme des moutons de panurge derrière un conflit dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Le message a-t-il été capté ?
Le feu dévorant du dragon chinois
Le réveil aurait commencé bien avant l’Ukraine, dit-on. Le poinçon peut logiquement être placé avec la chinoise Belt and Road qui a littéralement englouti, dès son lancement, toutes les sphères d’influence de l’occident dans les pays en développement. A son lancement en 2013, la Chine montre clairement son ambition de conquérir le monde non pas par un dicta politique et une approche coercitive, mais plutôt par un nouveau genre de « soft power » à la chinoise : la construction des infrastructures stratégiques de développement dans près de 150 pays. En août 2022, un total de 149 pays avaient déjà signé leur fiche d’adhésion à cette initiative. Ces pays verront la Chine construire sur leur sol des infrastructures telles que des ports, des gratte-ciel, des chemins de fer, des routes, des ponts, des aéroports, des barrages, des centrales électriques au charbon et des tunnels ferroviaires, etc. Sur cette liste on compte actuellement 43 pays sub-sahariens dont la RD-Congo.
Selon la Banque mondiale, la BRI peut stimuler les flux commerciaux dans les 149 pays participants de 4,1 %, ainsi que réduire le coût du commerce mondial de 1,1 % à 2,2 %, et augmenter le PIB des pays en développement en moyenne de 2,6 à 3,9 % et le PIB mondial de 7,1 billions US dollars par an d’ici 2040.
Déjà en 2019, peu avant la crise de Covid-19, dans sa publication numéro 17, le Center for Strategic International Studies avertissait les américains de l’erreur stratégique dans leur politique étrangère en Afrique face à la BRI. Pour cette plate-forme, le pays de l’oncle Sam, constamment obnubilé par des préoccupations politiques et des propensions idéologiques, n’a pas compris que « le financement des infrastructures » est la majeure préoccupation des États en développement pour qui les externalités politiques, sont « une préoccupation secondaire », avait fait savoir Pearl Risberg le rédacteur du rapport.
La montée du contrôle russe
Hormis les chinois, les russes aussi gagnent du terrain en se positionnement comme « les défenseurs de l’Afrique ». Contrairement à la Chine, la Russie utilise la force pour venir en aide aux États touchés par des déstabilisations armées, en dépit de l’implication, de longue date, des pays occidentaux dans les processus de stabilisation. C’est le cas la RDC, le Nigeria, la Libye, le Mozambique, le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et la Mauritanie où la Russie a, si pas des bottes sur le sol, sous couverts des agences, mais surtout vers où le pays de Vladmir Putin a réalisé, entre 2016 et 2020, 18% de son exportation mondiale en armement.
Au-delà de rôle de défenseure de l’Afrique qu’elle s’attribue, la Russie opère aussi un transfert de technologie et ouvre un marché d’échange qui s’annonce grandissant. C’est le cas de construction des centrales nucléaires et d’autres technologies connexes en Éthiopie, en Égypte, en Zambie et au Nigéria.
Le sommet de tous les enjeux
Depuis le lancement en pompe, en juin 2021, de la B3W ainsi que le début de la guerre en Ukraine, ça sera la première fois, en décembre prochain, que Joe Biden aura à faire face directement à ces homologues africains réunis. Le sommet des dirigeants États-Unis-Afrique.
Les États-Unis sont un partenaire de longue date de l’Afrique. Depuis les années indépendances, ils ont joué un rôle de premier plan dans la politique africaine, bien que son paradigme impétueux de démocratisation n’a accouché que des souris naines sur l’assemble du continent. Les africains n’y croient plus, semble-t-il. On se rappelle encore de la sortie de la ministre sud-africaine des affaires étrangères, Grace Naledi Pandor, lors de la tournée africaine de secrétaire d’État, Antony Blinken, et qui a fait savoir que son pays n’acceptera qu’il lui soit imposé les amis à fréquenter ou à éviter. Même en RD-Congo, on se demande à quoi a servi le passage du secrétaire d’État si cela n’a pas empêché le Rwanda a progressé avec le M23 sur le territoire congolais ?
Joe Biden a peut-être, compris avec la B3W, ce dont l’Afrique a réellement besoin pour faire face aux crises multiples qui la sévissent à ce jour. Les dirigeants africains, majoritairement formés dans les écoles occidentales, seraient logiquement plus proches des USA que de ses concurrents. Cependant si la B3W sera conditionnée par les mêmes agendas d’antan, les américains risqueraient d’offrir les africains sur un plateau d’or à leurs concurrents. Le rendez-vous est pris pour mi-décembre à Washington.